Je me suis parfois posé la question du mérite, en portrait.
Chaque rencontre photographique est un saut dans le vide. Je
ne sais jamais d'avance ce à quoi les circonstances vont me
confronter.
Tout modèle étant, par définition, vivant, il est sujet aux
fluctuations internes et externes qui le transfigurent à chaque seconde.
Sans oublier les émotions du photographe. Pour peu qu’il
soit sensible, et qu’il ait affaire à une forte présence, c’est une petite
tempête énergétique qui déferle de part et d’autre de l’objectif.
Mais parfois, l’évidence réduit ses efforts à de simples
formalités.
Lorsqu’il m’est arrivé, dans de rares cas, d’être confronté
à des personnalités accomplies, fermement ancrées dans le réel, sans peur, je
n’ai eu qu’à appuyer sur le déclencheur, avec la conviction simultanée que
l’image était aboutie.
Dans ces moments-là, je sais n’être que l’humble transcripteur
d’une expérience sur laquelle je n’ai aucune prise .
On ne peut pas dire de telles images qu’elles soient à faire
ou à prendre, mais à recevoir. Elles sont des dons, de généreux cadeaux.
Il s’agit d’une autre dimension de l’échange, où l’équilibre
est inversé. Car le photographe, dont le seul mérite est, pour ainsi dire,
d’être présent, pourrait y céder le statut d’auteur à son modèle.
C’est le cas de cette photo - dont, justement,
j’ignore l’auteur - de Ma Anandamayi (personnalité spirituelle de l’hindouisme).
Elle représente, selon moi, le stade ultime du portrait. L’accomplissement de
ce que je poursuis passionnément.
C’est à dire la captation d’une authentique beauté, cette
vive lumière qui émane des meilleurs d’entre nous. Et qui nous éclaire tous, en
profondeur, sous les strates multiples de nos aveuglements.
HR
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