Je suis de plus en plus intéressé, non plus par l’esthétique
photographique, mais par ce que les images sont en train de devenir, par
l’emprise croissante qu’elles exercent sur nos vies.
Dans notre monde standardisé, le désir d’exprimer, d’affirmer
et rendre publique son identité est devenu viral. Les images, qui se multiplient
et circulent suivant des flux vertigineux sont-elles en train de définir l’alphabet
d’un nouveau langage, un jargon virtuel qui s’inventerait collectivement, au
jour le jour ? Cette idée me parait de plus en plus vraisemblable.
La photographie s’impose au détriment de l’écrit, d’une
manière aléatoire et incontrôlable. Les écrans ont considérablement modifié sa
nature. Une photo, quelle qu’elle soit, n’est plus un objet rare et précieux,
mais la parcelle reproductible à l’infini d’une carte mouvante redessinant la
réalité de chacun, au sein du gigantesque vortex digital qu’est Internet.
Dans Pinterest on se présente, se définit
à travers des photos glanées au
hasard de la Toile. La notion d’auteur est vidée de son sens pour faire place à
l’acte déterminant du choix. Le choix devient un mode d’expression à part
entière. Choisir c’est aussi s’inventer.
Le développement de la phototherapy, qui utilise les photos
personnelles comme moyens d’accéder à l’inconscient de personnes souffrantes,
dans le but de les soigner, conforte mon intuition selon laquelle la
photographie tendrait à s’échapper du cadre qu’on lui connaît pour s’imposer
comme l’un des plus puissants
médiateurs d’un dialogue fructueux entre mondes visible et invisible.
L’esthétique des images devient bien moins décisive que ce
qu’elles révèlent de nous. J’irais même jusqu’à dire, ce qu’elles contiennent d'insondable.
L’apparent chaos de la photographie à l’ère digitale induit
l’émergence de nouveaux modes de production, de diffusion et de lecture des images.
J’y vois d’extraordinaires opportunités de contribuer à « guérir »
le monde.