Le soleil estival s’affaissait à l’horizon marin, pendant
que l’ombre envahissait l’espace de la forêt.
Nous roulions à la recherche de la maison d’une amie de
Yonta.
On n’était jamais sûr du chemin, dès lors que l’on quittait
l’unique route de terre - qui traversait l’île de part en part - pour s’engager
sur un de ces sentiers qui vous entraînaient loin, au milieu des grands arbres.
Pendant 15 kilomètres, nous n’avions croisé que quelques
biches et des moutons sauvages. Les habitants de cette mystérieuse île ne
cherchaient ni les rencontres, ni les regards. La plupart d’entre eux étaient
venus y fuir la promiscuité de nos villes.
Les arbres se resserraient autour de nous, absorbant ce
qu’il restait de jour. La forêt évoquait un champ de bataille où la végétation
se livrait à une guerre sans merci. Au milieu d’un chaos de branches
enchevêtrées, des troncs éventrés ou arrachés barraient les lignes verticales
de pins immenses qui, parfois, poussaient l’un contre l’autre, se heurtant dans
une lutte fratricide pour propulser leurs cimes vers la lumière. Au sol, des
fougères et des ronces dissimulaient un monde humide et hostile.
On entendait soudain un grincement semblable à celui d’une
porte de château. C’était le chant d’un pin, balancé par le vent.
La jauge à essence indiquait la réserve et le sentier se
mettait à défier la mécanique du pick-up. Il était plus prudent de renoncer.
Une fois revenus sur la route, une pulsion irrésistible nous
poussa de l’avant.
Nous voulions continuer à explorer. Sans doute cette peur
instinctive de la forêt nous avait-elle grisés, comme un souvenir d’enfance.
Nous roulâmes dans le sens opposé à notre point de départ,
avant d’atteindre une baie protégée du large par sa forme ovale.
L’océan Pacifique, que l’on dominait d’un rocher couvert de
mousse, s’y déployait autour de minuscules îlots. Il régnait là, entre chien et
loup, un calme surnaturel.
Je descendis prendre des photos, seul sur la rive, où gisait
- comme souvent sur le littoral de Colombie britannique – un amas de bois
pétrifié.
L’air sentait un mélange tiède d’océan et de fleurs.
Spontanément, je tendis le bras pour caresser la chair soyeuse que libérait
l’écorce d’un arbutus planté au bord de l’eau.
Je sentis mon visage s’éclairer. Une énergie joyeuse m’envahit
tout entier, et je me mis à rire, sans comprendre pourquoi.
Peut-être, pensai-je, cet arbre abritait-il les esprits
d’indiens Haidas ayant vécu jadis sur ces îles perdues.
Cette idée m’enchanta et, en regagnant la voiture,
j’attribuai à leur présence bienveillante cet état d’euphorie qui
m’avait traversé. Julie et Yonta m’affirmèrent avoir ressenti, elles aussi,
quelque chose de semblable.
L’excitation continua d’égayer le chemin du retour. Nous
partagions le sentiment d’avoir vécu un moment d’exception.
Pourtant, même avec le recul, je ne m’explique pas bien ce
qui nous a troublé, à Squitty Bay.
HR
Septembre 2006 ( publié dans le Purple Journal numéro 9 )
Colombie Britannique, 2006 |