Qu’est-ce donc que cette habitude contemporaine de tout
photographier ?
Que dire de cette obsession d’enregistrer, avant même de
l’avoir vécu, le plus insignifiant événement de sa vie quotidienne pour
l’exposer, via les réseaux sociaux, aux vues de
tous ?
Au-delà de l’exhibitionnisme et du voyeurisme tant décriés
par les farouches défenseurs d’un mode de vie en déliquescence, j’y pressens l’avènement
de l’ère qui verra se réaliser la fusion de l’homme et de la machine.
Cette perspective, porteuse des fantasmes futuristes les
plus effrayants, est inéluctable.
Pas de retour en arrière possible. Si les outils numériques
gagnent rapidement le terrain de nos vies, c’est qu’ils y apportent une
dimension nouvelle. Celle de l’augmentation de réalité.
Le pouvoir, désormais accordé à chacun, de prolonger
dans l’espace et le temps, ce qu’il est en train de vivre, est particulièrement
addictif.
Tout devient prétexte à l’extension de l’être, sa
propulsion au delà des limites corporelles.
L’enregistrement, suivi de la diffusion d’un nombre
croissant d’informations personnelles engendre de nouvelles formes, en mutation
constante.
Il s’agit, selon moi, d’une gigantesque entité créatrice,
une respiration planétaire générée par la conscience humaine, qui transforme le
sens et le devenir du monde.
Les neurosciences ont confirmé récemment que la conscience
n’était pas confinée dans le corps, qu’elle pouvait le quitter, voyager, se
porter sur un objet extérieur.
Les machines, qui, par l’accélération, ont considérablement
accru les possibilités du corps, deviennent les véhicules d’une extension de la
conscience vers de vastes territoires, encore inconnus. Ce que nous vivons
actuellement n’est que le début de cette mutation.
Si l’on admet que la notion de réalité est aléatoire et
subjective, ce qui est une évidence, alors il faudra accepter le fait que le
virtuel soit potentiellement aussi valide que ce que nous nommons réel.
Une telle idée peut donner le vertige. Mais regardons bien
ce qui est en train de se passer.
L’enregistrement du réel tend déjà à concurrencer le vécu.
Il suffit, pour s’en persuader, d’observer les gens photographiant ou filmant
ce qui se déroule sous leurs yeux. Les photographes les plus lucides ont, depuis
longtemps, pris acte du fait qu’en faisant le choix de ce qu’ils voulaient voir
et montrer, ils se rendaient maitres de leur propre réalité.
Les images ont donc l’immense pouvoir d’engendrer une forme
de réel, plus résistant au temps et moins dépendant de l’espace que ne
le sont nos vies physiques.
Contrairement à ce que j’ai écrit dans un précédent post, ce blog est autant ma
vie que l’autre, la prétendument vraie. Il représente le réel que je crée
consciemment et se déploie parallèlement à ma réalité physique,
qui elle-même, se dissout à chaque instant dans la spirale du temps.
Mon travail a pour ambition de faire de ma vie une œuvre.
Les photos sont à la fois témoins et créatrices de ce processus. Lorsque vous
regardez ce site, c’est à cela que vous participez.
HR