LA VRAIE/FAUSSE
MODESTIE DE J.T
Juergen Teller est l’incontestable champion de sa
génération, qui est aussi la mienne.
Profiter de la manne financière et de la bénédiction de l’industrie
strictement règlementée par les puissances de l’argent qu’est la mode, pour construire
une œuvre célébrée par le très élitiste monde de l’art - et ce, à moins d’un
demi siècle - est un respectable exploit.
Ce type de réussite requiert nombre de qualités. En plus d’être stratège, visionnaire,
audacieux, persévérant, rusé, sensible et créatif, il faut posséder des dons de
séduction, de charisme, faire preuve d’autorité, de courage, de personnalité, déployer
une énergie phénoménale, et, bien entendu, s’appuyer sur une exceptionnelle
conscience de soi.
C’est sur ce dernier point, sans doute, que Juergen Teller
possède la plus large avance sur la plupart de ses concurrents.
En maniant habilement le signe et le contre signe, il a su
façonner son personnage à l’image de son œuvre, théâtrale et parodique. Et avec
ses autoportraits, questionner le narcissisme contemporain. Personnalité
décomplexée, assumant avec désinvolture l’exposition de sa nudité, ses
imperfections et contradictions, il s’est rendu quasiment invulnérable.
Qui, en effet, oserait critiquer l’embonpoint et la calvitie
affichés sans ambages dans sa dernière exposition parisienne (galerie Suzanne
Tarasieve) ?
D’autant qu’il maitrise avec intelligence le grotesque de
ses propres efforts pour réduire sa surcharge pondérale.
« Je suis un cinquantenaire bedonnant qui essaie de
maigrir. Mais je l’assume et le revendique jusqu’à en faire une œuvre
d’art », expriment ses images.
La confrontation de ses autoportraits réalistes, humoristiques
et vaguement dérangeants, à des reproductions de peintures et sculptures
anciennes représentants des corps masculins en souffrance, crée une dynamique, à
mon avis, peu convaincante.
A ce stade de l’exposition, introduite dans une première
salle par quelques tableaux composés de collages (véritables manifestes du mortifère
désordre « tellerien »), je reste sceptique.
Rien de nouveau ni de renversant dans cette installation
qui, malgré l’impact de son titre « I am Fifty » et l’efficacité
expressive des images flashées, ne fait que décliner l’univers extraordinairement
invasif de ce maitre es provocation.
Suivant une flèche qui indique la suite de l’exposition, je
gravis sans enthousiasme les marches menant à l’étage.
Après avoir croisé du regard un tirage exhibant l’anus offert
d’une femme squelettique, me voici confronté à une série de petits formats
sagement alignés dans un espace exigu.
Rien de spectaculaire, dans cette nouvelle proposition
marquée, tout au contraire, par une monotonie chromatique peu attractive.
Il devient indispensable de s’approcher des photos, pour en
comprendre les détails et lire les petits textes qui les accompagnent.
La plupart de ces images, sans qualités esthétiques
particulières, décrivent une forêt composée de pins dénudés. On y voit évoluer
deux séniors (une femme et un homme), parfois accompagnés d’autres personnes de
leur âge. Sans l’aide des textes, les photos sont muettes, insignifiantes.
Pas d’autre choix que de se mettre à la lecture.
C’est Juergen qui raconte, simplement, humblement, son
passé, vécu à l’orée de cette forêt allemande, près de cette femme, sa mère et
de son compagnon, qui n’est autre que son oncle (frère de son père, qui s’est
donné la mort).
Il raconte ses origines, sa famille d’artisans, étouffante,
son enfance blessée et son départ, incertain, vers Londres où il est parti seul,
se confronter à une carrière de photographe.
Il décrit ses doutes, ses peurs, son désir de prouver à son géniteur
alcoolique qu’il valait mieux que le looser que celui-ci pensait avoir
engendré.
Il raconte les films, les actrices qui ont inspiré ses
jeunes années. Cette forêt, toile de fond de ses rêves, terrain de ses jeux. Puis
l’avènement du succès, de l’argent.
Nulle vanité apparente, dans son récit, mais la frontalité
et la probité de ses meilleures photos.
Cette fois je suis touché. Ce photographe d’exception,
admiré, copié, envié dans le monde entier, a la grâce de ceux qui ne
craignent pas de se montrer vulnérables. Il a compris depuis longtemps que
s’accepter totalement est une force irrésistible, et une des clés de son immense
succès.
J’aime sa façon d’incarner le bouffon, le funambule et
l’adroit jongleur de signes au centre du grand cirque des images, dont il est un des plus efficaces promoteurs, en même temps qu’un implacable critique.
l’adroit jongleur de signes au centre du grand cirque des images, dont il est un des plus efficaces promoteurs, en même temps qu’un implacable critique.
HR