LES PIEDS SUR TERRE
Déjà 30 ans que je pratique la photographie. Que je traverse obstinément les courants et les modes, les évolutions et révolutions qui agitent ce médium. Durant cette période, j’ai tenté, avec plus ou moins de bonheur, de survivre grâce à mon « œil ». J’ai été, à l’école de la vie, me confronter à la saveur éphémère et sucrée du succès, aussi bien qu’aux brulures de l’échec.
De cette aventure, j’ai tiré une connaissance subjective de l’univers aux dimensions exorbitantes qu’est celui de l’image.
J’y ai cherché, pour ne pas disparaître, à ajuster ma position aux circonstances mouvantes. Oscillant entre les attentes d’un milieu codifié par les lois du marché, mes recherches et aspirations personnelles, les incessantes fluctuations de l’air du temps et la révolution technologique qui a dynamité, en une seule décennie, toutes les conventions en vigueur durant mes jeunes années, il m’aura fallu, plus d’une fois, me remettre en question.
Mais j’ai du, avant toute chose, veiller à rester fidèle à moi-même. C’est à dire à l’impulsion première qui m’a menée vers cette pratique.
Ce long cheminement intérieur a fait de moi un observateur affûté de l’acte photographique.
Tout le monde, ou presque, s’emparant de ce médium, dont la popularité exponentielle annonce la dislocation prochaine, la question se fait de plus en plus pressante de déterminer ce que photographier signifie.
Les photos sont devenues omniprésentes. Alors : « Pourquoi celle-ci plus que telle autre ? ». Les Likes, les buzzs et algorithmes finiront-ils par définir les bons et les mauvais usages, jusqu’à conditionner la vision des artistes ?
Que signifie photographier dans un monde où nos perceptions du réel sont laminées par l’invasion technologique ? Le choix de ce que l’on veut voir et montrer n’est-il pas devenu l’expression même de notre humanité ?
La photographie est indiscutablement chargée des grandes interrogations de notre temps.
Il est urgent de se rendre conscients des enjeux qu’elle soulève. De prendre acte de son immense pouvoir mystificateur, pour mieux le diriger vers l’intérêt commun.
Il ne s'agit pas, ici, de photos choc, du sensationnalisme qui rythme l’indignation sélective d’un public gavé de médias officiels ou sociaux.
Mais d’un point de vue plus vaste et pénétrant, mieux imprégné de la complexité du monde que nous habitons, et capable d’explorer les mystères de notre propre nature d’êtres soumis aux lois cosmiques.
Faisons de chaque image un acte poétique écomagique, une prière adressée aux énergies de notre terre martyrisée.
HR