Charlotte Rampling (Paris, 2001) |
NI POUR, NI CONTRE
Je vois tellement de polémiques enfler autour de moi !
Je vois tellement de polémiques enfler autour de moi !
C’est un signe des temps. Celui des médias
sociaux, où tout le monde donne son avis sur tout. Où la moindre phrase est
commentée, passée au crible d’opinions contradictoires. Il n’est question que
de diffuser ce que l’on pense, ce que l’on aime ou n’aime pas, comme pour dire
qu’on existe, et que l’on appartient à telle ou telle communauté d’idée, de
goût. Et que l’on a raison d’être ce que l’on est. Et que les autres ont tort,
que tout est de leur faute, et qu’ils sont responsables du chaos mondial.
Et bien j’affirme que chaque participation à
une polémique, ou un débat, n’est, ni plus ni moins, qu’un prétexte à renforcer
son propre égo.
Alors que faut-il faire ?
Se désintéresser de la société ? S’isoler
de ses semblables ? Quitter la vie moderne ?
C’est une option possible, mais peu
convaincante en ce qui me concerne. Car j’avoue éprouver une réelle fascination
à observer ce théâtre, qui m’offre l’opportunité, non négligeable, de me
confronter à moi-même.
Par exemple, la récente polémique sur la déclaration
de Charlotte Rampling concernant la menace de boycott brandie par la communauté
noire américaine pour protester contre le manque de diversité des Oscars, m’a
beaucoup intéressée.
Qu’a dit Charlotte Rampling au micro d’une
journaliste française qui l’interrogeait à ce sujet ?
Qu’elle estimait qu’il s’agissait de « racisme
anti blanc ». Et que peut-être qu’aucun acteur noir ne méritait d’accéder
cette année au plus haut niveau de la course aux Oscars.
Je conviens que ses propos aient manqué de
délicatesse, dans le contexte actuel de tensions identitaires et de libération
de la parole raciste.
Mais que sait-on de Charlotte Rampling ? Qu’elle
est une actrice d’origine britannique (fille d’un père officier de l’armée de
sa Majesté), connue jadis pour sa grande beauté, son talent, et sa filmographie
audacieuse (voire sulfureuse), et plus récemment pour l’intelligence et le
courage avec lesquels elle assume, face au public, les outrages de l’âge.
Une personnalité hors norme, donc. Une femme
cultivée, exigeante et secrète, qui semble prêter plus d’attention à son
engagement artistique qu’aux jugements primaires d’autrui.
Elle a donc dit ce qu’elle pensait, exprimé sa
colère, son agacement, face à une situation qu’elle n’approuvait pas. Elle l’a
fait sans tricher, ni censurer son opinion à l’intention des médias.
Je suis Noir et n’aime pas entendre de tels propos,
mais je suis bien placé, aussi, pour savoir à quel point ce qu’elle a nommé « racisme
anti blanc » n’a rien d’une injure. Je le qualifierais plutôt de frustration,
voir d’aigreur, vis à vis de la domination blanche. Sentiment largement partagé
par la plupart des Noirs vivant en Occident, et que l’on peut aisément comprendre
en se retournant sur l’histoire. D’autant qu’il est alimenté, partout, par les
nombreuses injustices, brimades et discriminations infligées aux diverses diasporas
africaines.
Mais je suis conscient, aussi, des sentiments
mêlés de supériorité, de condescendance, de honte et de culpabilité qui animent les esprits
d’un nombre non négligeable de Blancs. Imbus de l’orgueil d’un leadership
séculaire sur le reste de l’humanité, et fier d’être identifiés au groupe qui a
façonné la modernité, certains souffrent de voir, avec l’effondrement de la
civilisation occidentale, se révéler la folie mégalomane et destructrice du projet capitaliste.
Qui, des présumées victimes ou des présumés bourreaux
aura la sagesse de se défaire du fardeau qui les accable ? Qu’est ce qui réconciliera
ces deux humanités au passé commun si chargé de violence et de haine?
Les traces de l’histoire sont inscrites dans
nos chairs. Il est compréhensible qu’elles refassent surface ici et là, à
travers une pensée, une phrase ou un simple mot.
Non, je n’en veux pas à Charlotte Rampling de
s’être exprimée comme elle l’a fait. Elle n’a manqué de respect à personne, a simplement
livré son opinion. Et quand bien même elle serait convaincue d’appartenir à
quelque caste ou race supérieure, comment le lui reprocher, au cœur d’une société
si fortement imprégnée d’idéaux élitistes ? En ces temps de crise,
l’hypocrisie bien-pensante ne suffit plus à contenir l’expression de réalités
secrètement admises de presque tous.
« Dire tout haut ce que tout le monde
pense tout bas » est devenu monnaie courante. C’est le signe que quelque
chose se fissure de l’idéologie occidentale, que s’ouvre une brèche dans la
forteresse de ses illusions égalitaires.
Faut-il s’en réjouir ou s’en plaindre?
En guise de réponse, je propose, une fois de
plus, l’introspection.
Au fond, quoiqu’extrêmement fier de mes
racines haïtiennes, je ne me considère ni comme noir, ni comme blanc, mais
comme un de ces êtres hybrides que produisent en grand nombre les migrations
humaines.
Il y a un Blanc en moi, qui peut comprendre Charlotte Rampling, et un Noir
qui pourrait la blâmer.
Cette ambivalence est ma fierté et ma grande
force. Car elle m’offre l’avantage de l’empathie non sélective, et de ne pas
avoir à juger, ni prendre partie pour les uns contre d’autres.
Ca n’est pas que je sois neutre, mais que je
préfère opter pour un point de vue plus dynamique.
Peut-être le problème est-il à chercher dans
la compétition même des Oscars. Tant que nous serons engagés dans cette lutte
darwinienne pour la suprématie (triomphe du rêve américain), éblouis par le
Panthéon du succès, il y aura toujours des gagnants, des perdants, des
frustrés, des brimés, des haineux, des arrogants, des vengeurs… C’est
inévitable.
Le but de la vie humaine ne peut se limiter - ne
le savons-nous pas ? - à devenir riche et célèbre !
Pourquoi ne pas explorer d’autres voies,
d’autres valeurs ? Le mode de fonctionnement qui a vu s’imposer le mâle
blanc comme maître du monde n’a t’il pas rencontré ses limites ?
Mais ne nous y trompons pas, que la domination
change de camp, et ce système reproduira les mêmes effets. Une compétition
n’est jamais vraiment juste, ni équilibrée, du moins pour tout le monde. Elle est
intrinsèquement arbitraire.
Les hommes, les femmes noires, les femmes
blanches, les arabes, les infirmes, les jeunes, les vieux, les gros, les
moches, les asiatiques, les latinos, hommes et femmes…
Qui souffrira le plus de ne pas obtenir ce
qu’il croit mériter ? C’est une lutte stérile et sans fin (absurdité qu’a
d’ailleurs soulignée Charlotte Rampling).
Sans doute le temps est-il venu de promouvoir,
sans complexe, la réconciliation et la collaboration.
Nul n’est sensé ignorer que les solutions sont
désormais à chercher dans nos consciences individuelles.
Nous sommes, plus que jamais, reliés les uns
aux autres. Nous opposer ne fait que précipiter notre chute en tant qu’espèce.
C’est une simple question de bon sens.
Alors travaillons à changer de point de vue
sur la réalité et développons ensemble les imaginaires qui, peut-être, nous sauveront
du désastre annoncé.
Cessons d’investir tant de nos énergies à débattre
sur ce que la perversité médiatique nous offre en pâture, et faisons des médias
sociaux des lieux de créativité, d’élévation et de poésie.
C’est la prière fraternelle que je ne peux
m’empêcher d’adresser à toutes celles et ceux, quels qu’ils soient, qui ont eu
la patience de parcourir ces lignes.
HR