29/09/2013

PHOTO. Pauvres images

« Les photographies, qui ne peuvent rien expliquer par elles-mêmes, sont d'inépuisables incitations à déduire, à spéculer et à fantasmer ». Susan Sontag

Toute forme d’art est une célébration de la vie.
Les meilleurs livres en contiennent le souffle. Certains films parviennent à en créer l’illusion. La bonne musique nous transporte dans les espaces éthérés de l’immatériel. La peinture la plus inspirée transfigure les oscillations de l’âme en percutants aplats visuels.
Mais la photographie, confinée à son modeste cadre, ne nous en livre qu’un pâle reflet. Elle n’est qu’un théâtre d’ombres, de lumières, de formes et de couleurs, un entrelacement de codes et de signes plus ou moins lisibles, qui se jouent du réel en le travestissant.
Car, disons-le, la photographie n’est qu’un ersatz bidimensionnel de la réalité, un medium au talent médiocre.
Selon moi, sa vraie beauté est à chercher dans sa faculté de dissimilation. Une photo sélectionne, élimine beaucoup plus qu’elle ne montre. Le vivant agit paradoxalement hors de son champ, dans sa périphérie. Il se devine, se sent, mais demeure invisible, ne sollicite notre vision que par induction.
Il y bien longtemps, j’ai appris que toute bonne photo devait inclure l’équation suivante :
Le rapport entre signifiant et signifié tend vers 1.
Aujourd’hui, j’affirmerais plutôt :
Le rapport entre signifiant et signifié tend vers l’infini.
L’infini des possibles, je veux dire, celui de l’imagination.
Les photographies s’inscrivant dans une authentique expérience vécue contiennent l’énergie vitale de leur auteur, tout en répercutant, par résonnance, le mystère qui réside en toutes choses.
Leur magie opère, principalement, dans ce qu’elles soustraient au regard.
Appréhender les photos sous cet angle c’est s’ouvrir les portes d’une plus vaste perception. C’est se libérer du déterminisme de la forme pour activer un imaginaire bien plus proche du vivant que ne l’est l’image elle-même.
Les photos les plus  fortes nous entrainent vers des territoires qui excèdent largement leurs dénotations.

HR

Parking de l'aéroport de Yaoundé, en arrivant au Cameroun,  en 2002

24/09/2013

MENTAL. Inde 2007 (Paris)


Pour accéder au parc national de Pench, situé au sud du Madhya Pradesh (Etat du centre de l’Inde), il faut prendre un petit avion à Delhi, se poser à l’aéroport de Nagpur avant de parcourir environ cent cinquante kilomètres de route. En cette saison, la température extérieure flirte avec les 50°.
L’activité du parc et son développement sont consacrés principalement à la protection et l’observation des tigres du Bengale. Dans l’iconographie hindoue, la peau du tigre est un des éléments du dieu Shiva. Il est aussi la monture de Shakti, symbole de l’énergie de la nature.
Le parc fait 292,85 km2, le sanctuaire 118,31 et la zone forestière totale 346,89. Soit environ 758 km2 de réserve consacrés aux tigres.
Juste avant la mousson, la jungle, desséchée, a des allures automnales. Son terrain vallonné, couvert de tecks, de bambous, d’arbustes et de diverses plantes parasites, abrite de nombreuses autres espèces comme les panthères, les loups, les dhols (chiens sauvages indiens), les langurs (une variété très répandue de singe), les macaques, les chacals, les hyènes, les sangliers, les cerfs…, ainsi qu’une impressionnante diversité d’oiseaux aux couleurs parfois surprenantes.
C’est une description de cet écosystème particulièrement riche qui aurait inspiré son Livre de la jungle à Rudyard Kipling.
Le parc tire son appellation du fleuve Pench, qui le traverse du nord au sud.
Ce cours d’eau, dont le lit se répand considérablement pendant la mousson, libère, en saison sèche, d’immenses étendues désertiques que la vive lumière et la forte chaleur font ressembler à des visions oniriques. 
Il n’est possible d’observer et photographier ce sanctuaire sauvage qu’à travers un safari - organisé par les autorités du parc - dont les règles sont extrêmement strictes.


Les tigres sont très difficiles à localiser et ne peuvent être approchés qu’à dos d’éléphants. La confrontation excède rarement quelques courtes minutes. Le temps de plonger son regard fasciné dans l’oeil jaune d’un prédateur en liberté.
HR 
(Publié dans le Purple Journal numéro 11)

18/09/2013

Jimmy, posant pour Cosmic Wonder Light Source 3 (Paris)


Cette photo de mode, très libre, n'a pas été sélectionnée pour ma série publiée dans le très beau Light Stream (Japon, 2009). Le thème du livre étant l'amour universel, je comprend parfaitement les causes de son élimination.
En revanche, elle s'est imposée dans le contexte de mon livre Spirit, publié aux Etats-Unis, l'année suivante.
HR 

16/09/2013

Université de Dakar, en 2010 (Paris)


Forget what it looks like. How does it feel? (Ansel Adams)

Une photo prise en Afrique qui contredit l'imaginaire s'appliquant à ce continent est forcément subversive. Celle-ci semble flotter dans l'irréalité, sans autre repère spatiotemporel que sa légende.
Peut-être me suis-je reconnu dans cette silhouette pendant que je travaillais à un reportage sur l'Université Cheikh Anta Diop pour un magazine anglais dont l'éditeur, d'origine nigériane, appréciait l'indépendance de mon point de vue.
L'Afrique, comme le reste du monde, n'est qu'une illusion. Seule compte, selon moi, la subjectivité d'un regard porté sur un instant vécu, sans jugement. 
HR  

14/09/2013

TEXTE. Squitty Bay

Le soleil estival s’affaissait à l’horizon marin, pendant que l’ombre envahissait l’espace de la forêt.
Nous roulions à la recherche de la maison d’une amie de Yonta.
On n’était jamais sûr du chemin, dès lors que l’on quittait l’unique route de terre - qui traversait l’île de part en part - pour s’engager sur un de ces sentiers qui vous entraînaient loin, au milieu des grands arbres.
Pendant 15 kilomètres, nous n’avions croisé que quelques biches et des moutons sauvages. Les habitants de cette mystérieuse île ne cherchaient ni les rencontres, ni les regards. La plupart d’entre eux étaient venus y fuir la promiscuité de nos villes.
Les arbres se resserraient autour de nous, absorbant ce qu’il restait de jour. La forêt évoquait un champ de bataille où la végétation se livrait à une guerre sans merci. Au milieu d’un chaos de branches enchevêtrées, des troncs éventrés ou arrachés barraient les lignes verticales de pins immenses qui, parfois, poussaient l’un contre l’autre, se heurtant dans une lutte fratricide pour propulser leurs cimes vers la lumière. Au sol, des fougères et des ronces dissimulaient un monde humide et hostile.
On entendait soudain un grincement semblable à celui d’une porte de château. C’était le chant d’un pin, balancé par le vent.
La jauge à essence indiquait la réserve et le sentier se mettait à défier la mécanique du pick-up. Il était plus prudent de renoncer.
Une fois revenus sur la route, une pulsion irrésistible nous poussa de l’avant.
Nous voulions continuer à explorer. Sans doute cette peur instinctive de la forêt nous avait-elle grisés, comme un souvenir d’enfance.
Nous roulâmes dans le sens opposé à notre point de départ, avant d’atteindre une baie protégée du large par sa forme ovale.
L’océan Pacifique, que l’on dominait d’un rocher couvert de mousse, s’y déployait autour de minuscules îlots. Il régnait là, entre chien et loup, un calme surnaturel.
Je descendis prendre des photos, seul sur la rive, où gisait - comme souvent sur le littoral de Colombie britannique – un amas de bois pétrifié.
L’air sentait un mélange tiède d’océan et de fleurs. Spontanément, je tendis le bras pour caresser la chair soyeuse que libérait l’écorce d’un arbutus planté au bord de l’eau.
Je sentis mon visage s’éclairer. Une énergie joyeuse m’envahit tout entier, et je me mis à rire, sans comprendre pourquoi.
Peut-être, pensai-je, cet arbre abritait-il les esprits d’indiens Haidas ayant vécu jadis sur ces îles perdues.
Cette idée m’enchanta et, en regagnant la voiture, j’attribuai à leur présence bienveillante cet état d’euphorie qui m’avait traversé. Julie et Yonta m’affirmèrent avoir ressenti, elles aussi, quelque chose de semblable.
L’excitation continua d’égayer le chemin du retour. Nous partagions le sentiment d’avoir vécu un moment d’exception.
Pourtant, même avec le recul, je ne m’explique pas bien ce qui nous a troublé, à Squitty Bay.

HR
Septembre 2006 ( publié dans le Purple Journal numéro 9 )

Colombie Britannique, 2006

11/09/2013

PHOTO. Portrait

Je me suis parfois posé la question du mérite, en portrait.
Chaque rencontre photographique est un saut dans le vide. Je ne sais jamais d'avance ce à quoi les circonstances vont me confronter.
Tout modèle étant, par définition, vivant, il est sujet aux fluctuations internes et externes qui le transfigurent à chaque seconde. 
Sans oublier les émotions du photographe. Pour peu qu’il soit sensible, et qu’il ait affaire à une forte présence, c’est une petite tempête énergétique qui déferle de part et d’autre de l’objectif.
Mais parfois, l’évidence réduit ses efforts à de simples formalités.
Lorsqu’il m’est arrivé, dans de rares cas, d’être confronté à des personnalités accomplies, fermement ancrées dans le réel, sans peur, je n’ai eu qu’à appuyer sur le déclencheur, avec la conviction simultanée que l’image était aboutie.
Dans ces moments-là, je sais n’être que l’humble transcripteur d’une expérience sur laquelle je n’ai aucune prise .
On ne peut pas dire de telles images qu’elles soient à faire ou à prendre, mais à recevoir. Elles sont des dons, de généreux cadeaux.
Il s’agit d’une autre dimension de l’échange, où l’équilibre est inversé. Car le photographe, dont le seul mérite est, pour ainsi dire, d’être présent, pourrait y céder le statut d’auteur à son modèle.

C’est le cas de cette photo - dont, justement, j’ignore l’auteur - de Ma Anandamayi (personnalité spirituelle de l’hindouisme). Elle représente, selon moi, le stade ultime du portrait. L’accomplissement de ce que je poursuis passionnément.
C’est à dire la captation d’une authentique beauté, cette vive lumière qui émane des meilleurs d’entre nous. Et qui nous éclaire tous, en profondeur, sous les strates multiples de nos aveuglements.
HR


Photo d'écran

10/09/2013

Piscine intérieure (Paris)



Dictionnaire psychanalytique des images et symboles du rêve

Le symbolisme de la piscine est directement lié à celui de l’eau et de la mer. Elle représente un inconscient personnel reconnu, contenu et limité aux dimensions du bassin. La couleur de l’eau et sa pureté nous renseignent sur la valeur de cette approche. Si l’eau est d’un beau bleu - c’est presque toujours le cas – cette piscine représente une dimension spirituelle et une connaissance de soi auxquelles nous avons accès.


Mais si le rêveur perçoit une dimension intérieure qui dépasse son domaine conscient, la piscine symbolise un domaine normalisé et satisfaisant. Cette approche intérieure conforte le rêveur dans un sentiment de connaissance qui peut empêcher une autre forme d’évolution ; la piscine est un lieu fermé. La mer est souvent proche. Il est important de se diriger vers elle. Cet inconscient est bien plus vaste et bien plus riche, illimité.

Trouvé sur internet

07/09/2013

TEXTE. Jackson et moi

J‘ai diné, hier soir, avec mon ami Jackson (photographié et publié sur ce blog le 12/07/2013), que je considère comme un brillant artiste.
Nous avons parlé, entre autres choses, des identités hybrides qui font de nous des Noirs pour les uns et des Blancs pour les autres.
Une double appartenance franco haïtienne peut offrir une perspective privilégiée sur l’absurdité de la notion même de race.
J’ai le plus grand respect pour les luttes, toujours actuelles, qui ont mené les peuples d’Afrique et leurs diasporas à se libérer des stigmates du colonialisme.
Mais peut-être est-il temps, tout simplement, de renoncer à être Noir, ou Blanc. De ne plus jouer le jeu pervers des théoriciens racistes qui ont créé ces catégories à leur avantage.
Peut-être pourrait-on tenter de voir au delà, de dépasser ce stade rétrograde.
Jackson et moi appartenons à un groupe d’individus, toujours plus nombreux, pour qui le concept de couleur est vide de sens. Nous rions, parfois, du paradoxe qui nous transforme, selon le point de vue des uns ou des autres, en migrants haïtiens dépositaires d’un obscur atavisme vaudou, ou en prospères et arrogants étrangers français.
Dans tous les cas, nous savons porter un masque. Un de ceux que nous attribuent des conditionnements culturels dont nous réfutons la validité.
C’est sans doute ce qui nous pousse à nous exprimer avec cette rage d’être nous-mêmes, coûte que coûte, sans accorder le moindre crédit à toutes règles instaurées dans le but de séparer et hiérarchiser les hommes.
La musique de Jackson tire sa densité poétique d’un alliage spontané des chants vaudous qu’il entendait, enfant, de son village haïtien, et d'un son rugueux inspiré de sa passion pour les Doors et Jimmy Hendricks.
J’aime utiliser la photographie avec une liberté similaire, explorant les territoires non balisés où me conduit mon instinct, avec pour seul cadre l'expérience du vivant.
Nous partageons une même fréquence vibratoire et un même engouement pour la puissance expressive des oeuvres surgies sans concession des profondeurs de l'âme.

HR

Autoportrait non publié extrait d'une collaboration avec Kathy Le Sant, en 2012



03/09/2013

TEXTE. Science et conscience

La vitesse actuelle d'évolution du savoir humain dépasse l’entendement.
Et la quasi totalité de cette information se propage simultanément sur le Net.
Une révolution silencieuse a lieu, pour ainsi dire, chaque semaine sans que nous n’y prêtions attention.
Celle qui retient mon intérêt, ces jours-ci, n’est ni géopolitique, ni culturelle, mais scientifique.
Car c’est, selon moi, dans le domaine des neurosciences qu’ont lieu les changements les plus impressionnants.
Je suis loin d’être matheux, ou calé en physique. Mais quand les plus récentes avancées scientifiques viennent valider certaines traditions spirituelles et sagesses immémoriales, j’en arrive à oublier la dérive planétaire et me réjouir de l’opportunité d’être en vie pour voir ce qui va suivre.
Que faire, par exemple, du fait avéré que la représentation que nous avons de nos propres corps n’est qu’une construction mentale, une illusion, comme d’ailleurs tout ce que nous voyons ?
Que la conscience peut sortir du corps ?  Et que l’avenir verrait sa mise en action transfigurer la relation de notre espèce à son environnement ? Ou qu'un entrainement cérébral approprié peut modifier jusqu'à la structure biologique de nos corps?
Nous étions un certain nombre à appréhender ces connaissances intuitivement.
Mais le plus fascinant, c’est d’imaginer l’impact qu’elles pourraient avoir si chacun d'entre nous les mettait à profit. Nos conditonnements mentaux et représentations du monde s’en trouveraient radicalement bouleversés.
Tout ce savoir ira, bien entendu, alimenter l’imposant arsenal d’outils de contrôle de nos vies détenus par les multinationales et états qui le financent.
Mais ces découvertes, qui sont aujourd'hui à notre portée, nous exhortent à utiliser l’incroyable plasticité de nos cerveaux pour changer, en allant de l’avant, vers ce que nous voulons être et sommes vraiment.

HR

Autoportrait dans un miroir

01/09/2013

PHOTO. Une époque formidable

Je suis de plus en plus intéressé, non plus par l’esthétique photographique, mais par ce que les images sont en train de devenir, par l’emprise croissante qu’elles exercent sur nos vies.
Dans notre monde standardisé, le désir d’exprimer, d’affirmer et rendre publique son identité est devenu viral. Les images, qui se multiplient et circulent suivant des flux vertigineux sont-elles en train de définir l’alphabet d’un nouveau langage, un jargon virtuel qui s’inventerait collectivement, au jour le jour ? Cette idée me parait de plus en plus vraisemblable.  
La photographie s’impose au détriment de l’écrit, d’une manière aléatoire et incontrôlable. Les écrans ont considérablement modifié sa nature. Une photo, quelle qu’elle soit, n’est plus un objet rare et précieux, mais la parcelle reproductible à l’infini d’une carte mouvante redessinant la réalité de chacun, au sein du gigantesque vortex digital qu’est Internet.
Dans Pinterest on se présente, se définit à travers des photos  glanées au hasard de la Toile. La notion d’auteur est vidée de son sens pour faire place à l’acte déterminant du choix. Le choix devient un mode d’expression à part entière. Choisir c’est aussi s’inventer.
Le développement de la phototherapy, qui utilise les photos personnelles comme moyens d’accéder à l’inconscient de personnes souffrantes, dans le but de les soigner, conforte mon intuition selon laquelle la photographie tendrait à s’échapper du cadre qu’on lui connaît pour s’imposer comme l’un des plus puissants  médiateurs d’un dialogue fructueux entre mondes visible et invisible.
L’esthétique des images devient bien moins décisive que ce qu’elles révèlent de nous. J’irais même jusqu’à dire, ce qu’elles contiennent d'insondable.
L’apparent chaos de la photographie à l’ère digitale induit l’émergence de nouveaux modes de production, de diffusion et de lecture des images.

J’y vois d’extraordinaires opportunités de contribuer à « guérir » le monde.

HR


Haïti, 2011